- ROUGE (MER)
- ROUGE (MER)La mer Rouge occupe l’un des plus spectaculaires parmi les fossés tectoniques du globe. Sa situation, à la rencontre d’un alignement de fractures continentales et du système des dorsales océaniques, en fait une région d’intérêt scientifique considérable; cet intérêt est encore accru par la découverte d’eaux profondes ayant des particularités exceptionnelles, peut-être liées au fait que cette mer constitue un océan en formation.Les vicissitudes de l’histoire, le dynamisme plus ou moins actif des générations ont fait de la mer Rouge soit un espace fermé, domaine réservé aux riverains, soit un espace ouvert cosmopolite, trait d’union indispensable entre Méditerranée et océan Indien, charnière entre Afrique et Asie. La primauté des relations maritimes repose sur le trafic méridien, mais, moins connus, les mouvements d’hommes et de produits stimulent les liaisons transversales entre les deux rives.La mer Rouge, zone de passage, aire de contacts culturels, humains, économiques entre trois continents, se propulse au rang des grandes voies de commerce bien avant l’ouverture du canal de Suez. Cette artère, qui triomphe du verrou septentrional de l’appendice de l’océan Indien, attise les rivalités entre puissances européennes: dès le XVIIe siècle, la mer Rouge apparaît sur l’échiquier des relations internationales.Longtemps unifiées par les Abbassides, par les Ottomans, ses côtes sont, depuis le XIXe siècle et surtout les indépendances, éclatées entre États riverains. Division aux conséquences graves: cette voie, constant enjeu entre les Grands, connaît des alliances sujettes à des volte-face spectaculaires. Proche de la poudrière du golfe Arabo-Persique, ce secteur a trouvé cependant un certain équilibre qui, jusqu’à présent, a évité qu’il ne s’embrase.Permanence d’une situation ancienne, ravivée par la révolution pétrolière: un net clivage oppose le littoral oriental, héritier des mythes de l’abondance de «l’Arabie Heureuse», et la côte africaine, démunie et s’enfonçant dans la pauvreté et la violence.1. Cadre naturelLimites et nomenclatureLa mer Rouge sépare l’Afrique de l’Arabie, de part et d’autre du tropique du Cancer, sur près de 2 000 km de long, avec d’autant plus d’efficacité, malgré sa faible largeur (300 km au maximum), que ses rivages sont bordés d’escarpements montagneux qui culminent au-dessus de 2 000 m, et au-delà desquels s’étendent des régions désertiques. Les profondeurs sont faibles sur les plateaux continentaux qui ourlent les rivages méridionaux et qui sont encombrés de récifs coralliens; elles sont beaucoup plus fortes dans l’axe du fossé, mais ne dépassent 2 000 m que dans des régions peu étendues (cf. carte bathymétrique).À son extrémité méridionale, la mer Rouge s’ouvre sur le golfe d’Aden (et, par-delà, sur l’océan Indien) par les détroits de B b al-Mandab, dont la profondeur ne dépasse guère 100 m, ce qui restreint les échanges d’eau. Sous le tropique, le promontoire africain de Ras Benas limite la partie nord de la mer Rouge, qui présente des particularités marquées par rapport aux parties centrale et méridionale. La mer Rouge se termine au nord par deux golfes, l’un étroit et profond, le golfe d’Aqaba, prolongement du fossé du Jourdain, l’autre large et peu profond, flanqué de plaines littorales, le golfe de Suez, au terme duquel a été creusé un canal maritime vers la Méditerranée (cf. canal de SUEZ).GéophysiqueLa partie au nord du tropique est bordée de rivages rectilignes, tout près desquels on trouve de fortes profondeurs (atteignant 1 000 m); les montagnes bordières (celles du Midyan, par exemple) sont dues à des escaliers de faille qui se poursuivent vraisemblablement dans les régions submergées. La gravimétrie présente des anomalies négatives, indiquant une tendance à l’effondrement, alors qu’il n’existe pas d’anomalie magnétique notable qui puisse suggérer l’intrusion de corps basiques en profondeur. Le golfe d’Aqaba, très rectiligne et bordé d’escaliers de failles, présente les mêmes caractères, que l’on rencontre encore tout au long du fossé de la mer Morte et du Jourdain. Ces ressemblances conduisent à considérer le nord de la mer Rouge comme faisant partie du système d’effondrements intracontinentaux du Proche-Orient.Les parties centrale et méridionale, plus vastes et souvent plus larges, sont, elles aussi, bordées de montagnes présentant des escaliers de failles. Mais les plateaux continentaux sont larges, ce qui ne semble pas être dû uniquement à l’action constructive des organismes récifaux; un véritable «escarpement continental» les limite vers le large. Les anomalies gravimétriques sont ici positives, comme sur les dorsales océaniques, et il existe des systèmes d’anomalies magnétiques qui évoquent ceux qui caractérisent les chaînons parallèles proches des axes des dorsales. Le plan des lignes de rivage présente des indentations qui se répondent d’un bord à l’autre et suggèrent une récente séparation de deux plaques crustales (dont les caractères géologiques se suivent en effet d’un continent à l’autre).L’ensemble de ces traits permet de considérer le centre et le sud de la mer Rouge comme un océan en formation, dont l’axe est occupé par une dorsale océanique virtuelle, encore en train de se dégager des rampes continentales qui l’encadrent, comme l’indiquent les séismes à foyer peu profond de cette région. D’après les mesures de paléomagnétisme sur les deux plaques continentales, on peut estimer à 70 le pivotage relatif des deux plaques, sans que la position de l’axe de rotation ait été jusqu’ici définie avec certitude.À son extrémité méridionale, la mer Rouge se raccorde à la fois au «rift» est-africain, qui est un système de fossés d’effondrement intracontinentaux, et à la dorsale océanique qui forme l’axe du golfe d’Aden et rejoint la dorsale de Carlsberg. Ce raccord, très complexe, se fait plutôt à travers la dépression des Afars que par le détroit de B b al-Mandab, et c’est l’étude de cette dépression qui permet de saisir les relations entre le rift et la dorsale. Les failles du système est-africain sont recoupées par celles du système océanique et que des anomalies géophysiques de type océanique existent sous cette dépression, qui constitue donc, avec l’Islande, l’un des rares cas d’«océan émergé» et un terrain d’élection pour l’étude géophysique des océans. Le copeau continental des Alpes Danakiles, qui sépare cette dépression du sud de la mer Rouge, a subi une forte rotation (180), car son extrémité nord est restée très proche de la plaque occidentale («plaque nubienne»), alors que son extrémité sud s’est déplacée avec la «plaque arabienne», de sorte que ce copeau s’est mis en travers de l’axe océanique (il peut servir de modèle pour l’explication de certains lambeaux de croûte continentale épars dans les océans actuels).Histoire géologiqueCes données géophysiques, et notamment les rapports entre les formes d’effondrement et les formes océaniques, permettent de proposer une histoire géologique comportant deux phases successives, dont la seconde s’est progressivement substituée à la première sur un domaine de plus en plus vaste.Une première phase a été celle des effondrements intracontinentaux, donnant naissance aux rifts. La région qu’occupe aujourd’hui la mer Rouge constituait alors un segment du grand axe tectonique qui comprend, au sud, les rifts est-africains et, au nord, le fossé du Jourdain et ses prolongements. Ce fossé primitif a été envahi à plusieurs reprises par des eaux méditerranéennes, dans sa partie nord, au cours du Secondaire et du Tertiaire. Les eaux de l’océan Indien ont envahi parfois la partie sud, mais plus tardivement, en plusieurs épisodes distincts, au cours du Miocène et du Pliocène. Mais il ne s’agissait alors que de mers épicontinentales, et les dépôts correspondants sont généralement de faciès néritiques. À certains points de vue, le nord de la mer Rouge en est encore à ce stade d’effondrement intracontinental, bien que sa profondeur relativement importante soit sans doute liée à une exagération récente du phénomène à la suite de l’ouverture océanique des régions méridionales.La seconde phase a été celle de l’ouverture océanique. L’axe général de ce bâillement, qui tend à joindre l’océan Indien à la mer Méditerranée, est oblique par rapport à l’axe général des distensions continentales, mais l’existence de celles-ci a guidé le tracé régional de l’ouverture océanique. La majeure partie de la mer Rouge comporte donc des structures océaniques récentes reprenant le tracé de structures continentales antérieures, ou parfois le recoupant (cf. schéma tectonique). Il est probable que la mise en route du phénomène de bâillement est plus ancienne que les premières traces certaines que l’on peut en observer, et qui sont d’âge pliocène. Mais, de toute façon, il s’agit d’un phénomène très récent, à l’échelle des mouvements crustaux, et la mer Rouge apparaît ainsi comme le plus jeune des océans et le meilleur terrain d’étude pour la compréhension du mécanisme de leur formation.HydrologieLa médiocre profondeur (134 m) du seuil de B b al-Mandab, qui met en relation la mer Rouge avec l’océan Indien, et l’étroitesse de cette entrée font que les apports d’eau océanique, qui s’effectuent en surface, sont relativement modestes, alors que la mer Rouge ne reçoit pratiquement aucun fleuve et fort peu de précipitations. Il en résulte une salinité élevée, qui est, en surface, de 38 000 en hiver et de 39 000 en été dès la sortie nord des détroits, et augmente vers le nord, surtout en été, jusqu’à atteindre 43 000 dans le fond du golfe de Suez. Les variations saisonnières de température en surface sont assez marquées pour que les températures, qui dépassent en été 30 0C sur la majeure partie de cette mer, s’abaissent jusque vers 20 0C en hiver, moment auquel la combinaison de ces températures relativement basses et de la forte salinité entraîne le plongement de ces eaux; celles-ci vont nourrir les eaux profondes et sont remplacées en surface par des eaux océaniques dont l’entrée est favorisée en hiver par les vents de sud-sud-est qui accélèrent les courants superficiels dans les détroits. Les eaux profondes sont, entre 150 et 2 000 m de profondeur, homothermes (vers 22 0C), avec une salinité supérieure à 40,8 000. En raison de leur forte densité, les eaux profondes supérieures (vers 120 m) sortent par le détroit de B b al-Mandab en un «contre-courant profond» et contribuent à former dans l’océan Indien l’«eau de la mer d’Arabie» qui y occupe les profondeurs comprises entre 500 et 1 500 m.Un autre trait original de l’hydrologie de la mer Rouge est la présence, dans trois dépressions de la partie axiale, au-delà de 2 000 m, d’une eau très chaude (jusqu’à 59 0C) dont la salinité atteint 257 000! Elle est très pauvre en oxygène, et aux sels normalement dissous dans l’eau de mer s’ajoutent ici des sels métalliques. Il semble donc s’agir d’une eau d’origine marine, infiltrée depuis longtemps et ayant circulé dans un sous-sol fortement minéralisé, avant d’être restituée par des sources sous-marines. Le réchauffement très marqué subi par ces eaux depuis leur découverte montre que les apports d’eaux telluriques sont en ce moment très importants, et l’étude des dépôts (riches en minerais) qui tapissent ces dépressions indique que les eaux hypersalines varient cycliquement en quantité et en température, à l’échelle de la dizaine de milliers d’années.Les marées de la mer Rouge (cf. schéma des marées) sont généralement modestes, en raison de l’étroitesse de ses communications avec l’Océan. La forme du bassin fait qu’il s’y établit une onde stationnaire semi-diurne, l’onde diurne océanique n’étant discernable que sur les côtes qui avoisinent le nœud principal de l’onde semi-diurne, autour de Djedda et de Port-Soudan. Les ventres sont situés non pas au milieu de chacun des deux bassins séparés par ce nœud principal, mais sensiblement plus près des deux extrémités que du nœud, et les marnages maximaux y dépassent 50 cm, d’une part entre l’île Kamran et Massaoua, d’autre part au niveau de Kosseir. Des nœuds secondaires existent à l’entrée des étranglements terminaux (devant Assab, au nord des détroits, et de part et d’autre de la pointe méridionale de la presqu’île du Sinaï), mais la marée se renforce dans ces étranglements eux-mêmes, tant dans le goulet de B b al-Mandab, par lequel entre l’onde océanique, que dans le golfe de Suez, au fond duquel le marnage maximal atteint 1,80 m.BiologieLa mer Rouge semble devoir son nom à la prolifération épisodique d’une algue bleue, Trichodesmium erythraeum , qui vire au rouge à sa mort. Ce n’est là que l’élément le plus spectaculaire d’un phytoplancton adapté à la forte salinité et aux températures élevées. Au total, la productivité biologique reste modeste, et la pêche est peu développée.Les récifs coralliens existent sur presque toutes les côtes de la mer Rouge, mais ils sont particulièrement développés dans la moitié sud, où les plateaux continentaux qu’ils accidentent atteignent parfois 100 km de largeur; ils sont fort dangereux pour la navigation du fait de la médiocrité de la marée, car ils affleurent presque.2. HistoireDe l’Antiquité à la période ottomaneAu cours de ces siècles, malgré les obstacles naturels (courants et vents saisonniers souvent violents, côtes inhospitalières), malgré les vicissitudes politiques, la navigation en mer Rouge ne cesse de s’affirmer. Si, dans un premier temps, les marins se limitent aux rivages de cette mer semi-fermée, une fois surmontés les périls de la porte des Lamentations, ils poursuivent, avec plus ou moins d’envergure, leurs périples dans l’océan Indien.Hardis précurseurs, les navigateurs de l’Égypte pharaonique reconnaissent par étapes les littoraux de la mer Rouge. Désireux d’atteindre le fabuleux pays de Pount, ils s’aventurent toujours plus au Sud, au-delà du détroit du Bab el-Mandeb. Si le souvenir de ces premières relations longitudinales apparaît dès la fin du IIIe millénaire, le voyage le plus connu se réalise sous la reine Hatshepsout (1520-1505 av. J.-C.) dont les inscriptions du tombeau de Deir el-Bahari évoquent les cinq navires rapportant or et ivoire, épices, aromates, parfums, bois précieux, animaux et oiseaux exotiques...L’Égypte, si elle veut tirer profit des liaisons maritimes avec les lointaines contrées qui commandent l’entrée méridionale de Bab el-Mandeb, le pays de Pount mais aussi le royaume de Saba, producteur de résines (encens, myrrhe) recherchées pour les rites funéraires, redistributeur de denrées africaines et asiatiques, si elle souhaite mettre en valeur sa position de carrefour entre Méditerranée et mer Rouge, doit entreprendre des travaux pour vaincre les contraintes naturelles. Kosseyr et Bérénice, éloignés de l’isthme de Suez afin de réduire les risques de navigation, offrent leurs rades protectrices aux bateaux revenant du golfe d’Aden et leurs quais où les riches cargaisons, transbordées, gagnent par voie terrestre le Nil et par là la Méditerranée. En outre, ses ingénieurs audacieux lancent un ambitieux programme: relier par un canal les deux mers. Conçu dès le Moyen Empire (2000-1800), réalisé certainement au temps de la XIXe dynastie (1350-1200), le canal se détachait du Nil à Bulaste, pour déboucher dans le grand lac Amer qui n’était alors qu’un golfe. Menacée d’ensablement, dépourvue d’accès à la mer, sous l’effet du colmatage, cette artère doit être draguée et prolongée: l’entreprise du pharaon Néchao (609-594), qui coûta, selon Hérodote, la vie à 120 000 ouvriers, fut reprise par Darius Ier (522-486) puis par Ptolémée II Philadelphe (282-246) qui lui donna sa forme définitive, du Nil à Arsinoé où une écluse retenait les eaux.Aux marins égyptiens vont se substituer les Phéniciens. Déjà, ces derniers avaient mis leurs connaissances nautiques au service d’un autre État riverain: le royaume de Jérusalem. L’Ancien Testament témoigne du départ d’une flotte du port d’Ezeongeber pour la mystérieuse contrée d’Ophir, proche du pays de Pount (Xe s. av. J.-C.). La reine de Saba emprunta-t-elle un de ces navires pour rendre visite au roi Salomon dont, selon la légende, elle eut un fils, créant ainsi des liens entre le nord et le sud de la mer Rouge?Les Phéniciens puis les Grecs, lorsque l’Égypte passe, avec les conquêtes d’Alexandre, aux mains des Ptolémées, dépassent la dangereuse porte des Lamentations et gagnent les ports du golfe d’Aden, stockant les riches marchandises de l’Afrique et de l’Asie.L’échec de l’expédition des 10 000 légionnaires conduits par le préfet Aelius Gallus, pour s’emparer du royaume de Saba (24 av. J.-C.), compromet l’avenir de la mer Rouge. Mais, véritable révolution nautique, la découverte du marin grec Hippale, auteur du Manifeste du périple de la mer d’Érythrée , dévoile le secret des vents de mousson et les moyens de les utiliser, pour se rendre directement dans les ports de l’Inde et de Ceylan et confère ainsi à la mer Rouge une dimension internationale (début de l’ère chrétienne).Au moment où le royaume de Saba connaît son déclin consécutif au développement en Méditerranée du christianisme, moins consommateur d’aromates, les navigateurs grecs, voire yéménites, courtiers des Romains, gagnent en droiture la péninsule indienne et s’y approvisionnent sans intermédiaire. La mer Rouge s’ouvre donc sur le vaste océan Indien (120 voyages annuels) et draine un trafic de luxe, tout miroitant des prestiges de l’Asie.Le déclin de l’Empire romain, le retour à l’insécurité nuisible au grand commerce entraînent le départ des marins européens de la mer Rouge et de l’océan Indien, repli amplifié au VIIe siècle par l’expansion arabe.Les nouveaux maîtres du bassin oriental de la Méditerranée ne peuvent délaisser la mer Rouge qui, après une phase de déclin, retrouve momentanément son ancien rôle.Le calife Omar, qui gouverne l’Égypte, a tout intérêt à maintenir une voie de communication entre les plaines à blé du Nil et les déserts de l’Arabie (642 apr. J.-C.), relançant les échanges nord-sud, par le canal et la mer Rouge. Mais les successeurs abbassides, dont les conquêtes ont assuré l’unité entre mer Rouge et golfe Persique, préfèrent détourner le commerce asiatique par les routes terrestres, débouchant en Méditerranée orientale, et la mer Rouge est abandonnée pour le Golfe. Le royaume d’Axoum, bordant la rive africaine, en profite pour se lancer dans l’aventure du commerce maritime. L’arrivée des Fatimides en Égypte arrête net cet élan: les courants économiques, s’ils ont retrouvé la mer Rouge, sont attirés par les centres de gravité égyptiens.À nouveau, les navires arabes, plus petits, d’une grande maniabilité, se contentent de toucher à Djedda, à Aden, devenus des entrepôts de produits de l’Inde et de Java, convoyés par des jonques asiatiques, par des boutres yéménites, redistribuant aussi les richesses de la côte orientale de l’Afrique et de Zanzibar (esclaves, clous de girofle).La progression des croisés qui s’établissent au nord du golfe d’Akaba (1115), l’expédition navale conduite par Renaud de Châtillon ne perturbent pas les activités des marchands et navigateurs arabes mais renforcent chez eux l’idée d’écarter toute flotte chrétienne de cet espace musulman: le canal pharaonique s’ensable durablement, la mer Rouge se ferme aux étrangers.À partir de la fin du XIIe siècle, sous l’effet d’une double cause (paralysie et fermeture des pistes terrestres traversant l’Asie, demande accrue de l’Europe en épices), un nouvel élan relance les relations commerciales tissées entre Venise et l’Égypte des mameluks. Alexandrie, immense emporium, est devenu l’ultime pivot des échanges transmaritimes, maillon terminal du trafic en mer Rouge, grâce à une connexion de réseaux, si bien décrite par Marco Polo: «En ce pays d’Aden, est le port où viennent beaucoup de nefs de l’Inde avec leurs marchandises. Les marchands transportent celles-ci sur des nefs plus petites, à sept journées de là [à Kosseyr]; et, au bout de ces sept jours, ils déposent les marchandises et les chargent sur des chameaux qui vont par terre pendant bien trente journées, jusqu’au fleuve d’Alexandrie [Nil]; et, par ce fleuve, les marchandises vont à Alexandrie.»Des relations transversales, liées à l’expansion de l’islam en Afrique, se greffent sur ce trafic sud-nord. Les pèlerins africains se concentrent dans les ports de Souakim, de Massaouah, affrontent la périlleuse traversée de la mer Rouge, débarquent à Djedda, escale sur la route de La Mecque, de Médine.Une croisée d’axes de navigation internationale et régionale se noue dans les ports de la côte arabique (Djedda, Hodeida, Moka, Aden) qui reçoivent et diffusent les produits de deux continents, l’Afrique et l’Asie. Les communautés yéménites, banians, parsis, acteurs de ces intérêts économiques, s’implantent dans tous les ports de la mer Rouge pour consolider les réseaux maritimes, pour jouer le rôle d’intermédiaires auprès des caravaniers indigènes.L’intrusion européenneAu tournant du XVe et du XVIe siècle, deux nouveaux compétiteurs apparaissent: les Ottomans, conquérants de l’Asie, qui progressent en Arabie et imposent leur suzeraineté à l’Égypte (1517); les Portugais, qui ouvrent la route directe des Indes par le cap de Bonne-Espérance (1498) et cherchent des escales pour conforter leur position: Mozambique, Corne de l’Afrique, Yémen, voire Aden d’où ils sont repoussés en 1513.Les Ottomans, quant à eux, unifient la mer Rouge et maintiennent le double trafic existant. Bien que l’Europe n’achète plus d’épices dans les comptoirs d’Alexandrie, les Ottomans consomment les produits de luxe (aromates, soieries, esclaves, perles précieuses, etc.) et détournent, à leur profit, le trafic de l’Inde et de la côte orientale de l’Afrique.Précurseurs malheureux, les Portugais sont relayés par les Néerlandais et par les Anglais qui, dans un premier temps, sillonnent l’océan Indien par le sud, ignorant ainsi l’appendice septentrional. Ce n’est plus le cas au XVIIe siècle: l’East India Company élève des entrepôts à Moka et à Aden, ses voiliers venant y enlever un produit d’exportation, désormais fort prisé en Europe, les fèves de café moka. Ces «cerises» sont collectées au Yémen, mais proviennent aussi du lointain Kaffa (Éthiopie) par routes terrestres avant d’être chargées sur des boutres assurant la traversée de la mer Rouge. Ce trafic réactive les liaisons transversales.La mer Rouge apparaît tardivement dans les préoccupations économiques et diplomatiques de la France d’Ancien Régime; les négociants de Saint-Malo arment deux vaisseaux pour ouvrir le marché du Yémen, en 1709 et en 1711. C’est la France révolutionnaire qui va projeter ce secteur sur la scène internationale. Le Directoire donne au général Bonaparte des instructions précises: s’emparer de l’Égypte, détruire tous les comptoirs anglais en mer Rouge, prendre des mesures pour assurer à la République la libre et exclusive possession de cette mer. Si la mission échoue, les techniciens qui l’accompagnent découvrent l’héritage pharaonique: l’ingénieur J.-B. Lepère reprend le projet d’un canal entre les deux mers. L’effondrement de l’Empire laisse les Britanniques seuls, face aux Turcs suzerains des lieux, ces derniers ayant de plus en plus de difficultés pour s’y maintenir. L’Égypte de Méhémet Ali et de ses successeurs désire s’imposer de part et d’autre de la mer Rouge, avec un double objectif: contrôler les ports (Souakim, Massaouah), exutoires des richesses africaines (gommes, plumes d’autruche, ivoire, esclaves, cire, café), et les centres de redistribution de denrées asiatiques (Djedda, Aden). Ce sont les dernières heures d’indépendance de la mer Rouge.Sous l’effet conjugué de deux préoccupations – assurer des escales stratégiques sur la route des Indes, interrompre la traite des esclaves si active entre l’Afrique et l’Arabie –, les Britanniques s’établissent par la force à Aden (1839). Sous leur arbitrage naît un nouvel équilibre: pour éviter que la mer Rouge ne soit contrôlée par une seule puissance, l’Empire ottoman se voit confirmer ses droits sur la rive arabique, l’Égypte devant limiter ses prétentions territoriales au littoral africain.Tenté dès 1829 par le lieutenant Waghorn et lancé en 1839, le service de la malle des Indes, qui emprunte le seuil séparant la Méditerranée et la mer Rouge, révèle ses avantages. Pour conforter cette voie, le transit entre les deux mers doit s’organiser: une centaine de milliers de chameaux assurent constamment la liaison Suez-Alexandrie. Les compagnies maritimes s’intéressent à cette ligne. Dès 1839, la Compagnie péninsulaire et orientale organise l’overland route , avec deux services de navigation assumant la correspondance Londres-Gibraltar-Malte-Alexandrie, d’une part, Suez-Aden-Bombay, d’autre part. L’exemple est suivi par des compagnies françaises (1862) et autrichiennes (1869).L’apparition des navires à vapeur de plus fort tonnage, plus rapides, aux rotations régulières, intensifie les courants commerciaux sud-nord. L’isthme de Suez devient un goulet d’étranglement. Deux choix pour y remédier: les Anglais optent pour la voie ferrée, achevée par étapes entre 1850 et 1860, alors que les Français défendent le projet d’une artère navigable entre les deux mers. En 1854, Ferdinand de Lesseps soumet son étude au vice-roi d’Égypte qui s’engage définitivement en signant l’acte de concession en janvier 1856.Malgré l’opiniâtre résistance du ministère Palmerston, hostile aux travaux, malgré les problèmes financiers et techniques soulevés, le canal de Suez est inauguré en novembre 1869. Le gain considérable de temps dû à la réduction des distances (59 p. 100 Marseille-Bombay; 44 p. 100 Londres-Bombay), à la disparition des transbordements, à la révolution des transports privilégie cette nouvelle route qui devient un des grands axes maritimes des échanges et modifie les conditions des rivalités impérialistes européennes.De l’impérialisme européen à la décolonisationLes Britanniques renforcent leur position au débouché méridional de la mer Rouge par trois points d’ancrage: les îles Perim (1857), Socotra (louée en 1863, elle devient protectorat anglais en 1886), éventuelles bases stratégiques, Aden, escale charbonnière et véritable plaque tournante des affaires entre l’Europe et l’Asie. Ils interdisent en outre toute implantation sur la côte arabique.Sur l’autre rive, les Français possédaient déjà Obock (1862); ils y ajoutèrent Tadjoura (1884), Djibouti (1888) pour former en 1896 la Côte française des Somalis: le port de Djibouti commande le détroit de Bab el-Mandeb, essayant de faire contrepoids à Aden.À la même époque et pour la même raison, l’Italie constituait avec Assab (1869), Massaoua (1885) ce qui deviendra l’Érythrée (1890).La Corne de l’Afrique est partagée entre 1888 et 1897 en deux zones d’influence: la Somalie italienne et le Somaliland britannique. Quant à l’Égypte et au Soudan, ils sont passés sous l’influence de Londres respectivement en 1882 et 1898. Les Anglais tiennent en main les deux pivots de la mer Rouge. Cette prééminence britannique, ces implantations côtières de l’Europe gênent le dernier État indépendant, l’Éthiopie, qui voit se fermer l’accès à la mer. Il faut attendre l’achèvement des travaux de la voie ferrée Djibouti - Addis-Abeda (1917) pour que ce pays soit désenclavé.La fin de la Première Guerre mondiale sonne le glas de l’Empire ottoman: le traité de Lausanne (1923) le démembre et laisse la place à une mosaïque d’États aux frontières artificielles, placés pour la plupart sous l’influence de Londres. L’Égypte acquiert une indépendance formelle en 1922, encourageant d’autres émancipations (royaume d’Arabie Saoudite 1932, royaume du Yémen 1934). L’Italie, à contre-courant de l’évolution historique, tentait, par la conquête de l’Éthiopie (1935-1936), de réaffirmer le contrôle européen. La Seconde Guerre mondiale a une influence décisive en renforçant les nationalismes, en accélérant le processus d’émancipation. La Ligue arabe n’exige-t-elle pas, en mars 1945, l’évacuation des troupes étrangères de tous les territoires arabes?L’Italie perd ses colonies. L’une fusionne avec le Somaliland constituant ainsi la Somalie (1960). L’Éthiopie retrouve son indépendance. Quant à l’Érythrée, d’abord fédérée à son puissant voisin, elle est bientôt annexée par lui (1962).Les Britanniques cèdent sur tous les fronts. Pour tenir compte d’un double nationalisme, la partition de la Palestine est préconisée, ce qui a pour résultats, d’une part, la création de l’État d’Israël en 1948 et, d’autre part, l’agrandissement territorial de l’ancienne Transjordanie, qui devient alors le royaume de Jordanie. Bénéficiant des tensions soulevées par l’Égypte de Nasser, le Soudan gagne son indépendance (1956). Ultime abandon, Aden arrache sa liberté et constitue, avec les autres protectorats anglais, la république démocratique populaire du Yémen (1967).Avec l’émancipation tardive de Djibouti (1977) se clôture le mouvement d’indépendance en mer Rouge. La relève est assurée par les Américains et les Soviétiques. La paix n’est pas pour autant ramenée, trop de frontières héritées, divisant les ethnies, font surgir de nouvelles confrontations entre États. Ces tensions sont aggravées par des divisions idéologiques et religieuses.Un double enjeu, économique et stratégiqueAu lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’exploitation des champs de pétrole du Proche-Orient s’intensifie: le trafic de la mer Rouge progresse. En 1967, 167 millions de tonnes de pétrole transitent par le canal de Suez.La grande route des courants pétroliers est brutalement verrouillée de 1967 à 1975, lorsque à la suite de la guerre des Six Jours le canal est interdit à toute navigation. Les navires reprennent donc la voie du Cap. Leur taille, n’étant plus limitée par la profondeur du canal (55 000 t de port en lourd), évolue vers le gigantisme. Le repliement économique de la mer Rouge profite au trafic circumafricain: en 1979, 500 millions de tonnes contournent encore le Cap. La réouverture du canal, qui, par des travaux d’approfondissement, permet alors le passage de pétroliers de plus de 200 000 t.p.l. (tonnes port en lourd), n’a pas renversé de façon décisive le nouveau sens des échanges bien que, lentement, la route mer Rouge-canal de Suez retrouve un rang honorable (249 millions de tonnes ont, en 1986, emprunté le canal, dont 92 de produits pétroliers). Le premier rang revient à celle du Cap, moins vulnérable et dont le ralentissement du trafic des hydrocarbures (145 millions de tonnes en 1986) est compensé par celui des minéraliers, provenant de l’océan Indien.Les relations maritimes à travers la mer Rouge sont loin d’être condamnées. Trois atouts jouent en leur faveur. Bien que la baisse des transits par le canal de Suez ait incité les autorités égyptiennes à augmenter les droits perçus, les travaux en cours doivent encore améliorer les conditions de navigation. Le seuil entre les deux mers raccourcit toujours les distances qui, en 1986, demeurent en moyenne du simple au double (tabl. 1).Le conflit entre l’Iran et l’Irak a rendu périlleux le franchissement du détroit d’Ormuz. Grâce à une habile politique stratégique de réseaux d’oléoducs, les pays affranchissent une partie de leurs productions des contraintes militaires du golfe Arabo-Persique. Ainsi, l’Arabie Saoudite a mis en exploitation, en 1982, une conduite de plus de 1 700 kilomètres, la Petroline , qui traverse d’est en ouest la péninsule, pour aboutir à Yanbo, terminal pétrolier entièrement jailli du désert, port amené à connaître un essor considérable, rivalisant avec Djedda. La capacité de la Petroline a été portée en 1987 à 150 millions de tonnes par an. Reliée à l’Irak, elle écoule 0,5 million de barils par jour pour le compte de Bagdad. Par ailleurs, l’Irak s’est entendu avec Riyad pour poser une ligne parallèle à la Petroline, ce qui lui offrirait un débouché supplémentaire sur la mer Rouge d’un million de barils par jour.Ce pétrole, détourné du Golfe ou produit localement (Égypte et nouveaux gisements aux confins du Rub al Khali, dans le Yémen du Nord, exploités dès 1984), bénéficie d’un dernier avantage: au lieu de prendre l’artère navigable de Suez, il coule directement dans le Sumed , reliant Suez à Alexandrie.Tout est donc mis en œuvre pour que la mer Rouge conserve, au prix d’adaptations remarquables, le courant pétrolier.L’arrêt momentané des échanges avait fait ressortir l’intérêt géopolitique de cet espace. Si les Britanniques restent absents, les Français maintiennent et renforcent leurs forces à Djibouti; cette présence impose aux États voisins une modération dans leurs revendications territoriales et épaulerait les forces de l’O.T.A.N. en cas d’embrasement du Golfe. La mer Rouge, zone hautement stratégique, voit s’affronter les deux Grands, désireux de surveiller une des routes mondiales du commerce et de se trouver proches de la zone du Golfe.La réouverture du canal a amélioré la situation de la flotte soviétique qui avait dû assurer sa présence dans l’océan Indien par Vladivostok, avec tous les inconvénients que cela comportait. Depuis son repli de Berbera, en 1977, où l’U.R.S.S. entretenait une base aéronavale de 2 000 hommes, elle n’a pas de bases proprement dites en mer Rouge mais utilise le «droit de relâche» dans les ports des pays amis: république démocratique populaire du Yémen (Aden, Socotra), Éthiopie où elle entretient de nombreux conseillers militaires (tabl. 2).Lorsque les Soviétiques ont quitté Berbera, les Américains ont négocié avec le gouvernement somalien (l’affaire s’est conclue pour 40 millions de dollars livrables en matériel de guerre, alors que les Somaliens escomptaient pour prix de leur volte-face diplomatique deux milliards de dollars) et ont entrepris quelques travaux (prolongement de la piste d’atterrissage, tour de contrôle sophistiquée, désensablement du port). Adoptant l’ex-modèle géostratégique britannique, les Américains tiennent en main les deux extrémités de la mer Rouge: leur base de Ras Banas contrôle le seuil septentrional, celle de Berbera, faiblement occupée, commande le débouché sur l’océan Indien.Face aux multiples incidents qui ponctuent la circulation dans le Golfe, les grandes flottes mondiales patrouillent dans ces eaux internationales. Les escales d’avitaillement, de radoub dont elles peuvent disposer sur leur passage, remplissent pleinement leurs fonctions. Le repli des Soviétiques de l’Afghanistan marquera-t-il un moindre intérêt pour l’océan Indien sans que, pour cela, ils abandonnent les positions clés détenues plus à l’ouest? Un statu quo entre les deux Grands n’a-t-il pas été ébauché pour que la mer Rouge et le canal de Suez, indispensables à la libre circulation de tous, n’entrent point dans un maelström de violence?Dans leur quête de partenaires se faisant contrepoids, les États-Unis et l’U.R.S.S. mènent un jeu d’équilibre fragile entre des pions eux-mêmes sensibles aux tensions internes. Malgré tout, des promesses d’accalmie se dessinent. Les accords de 1978 et 1979 ont ramené la paix entre l’Égypte et Israël. La restitution du Sinaï ne laisse à Israël qu’une étroite fenêtre sur le golfe d’Akaba (1982).La réconciliation entamée par le président éthiopien Menguestou et son homologue somalien Ziad Barré (avril 1988) peut-elle clôturer les hostilités suscitées par la guerre de l’Ogaden (1977-1978)? Après les violents soubresauts du coup d’État de janvier 1986, opposant deux fractions d’un même parti, Aden soigne ses plaies. Mais les divergences au sein du groupe dirigeant communiste ont retardé la normalisation des relations interyéménites, ce qui satisfait l’Arabie Saoudite, peu désireuse de se voir confrontée à un Yémen unifié, de tendance pro-soviétique. Quant à l’Éthiopie, la lutte du gouvernement d’Addis-Abeba contre les mouvements sécessionnistes du Tigré et de l’Érythrée maintient toujours les théâtres de combats, leur cortège de camps de la faim, leurs hordes de réfugiés auxquels viennent s’ajouter ceux de la Somalie, fuyant le nord de leur pays troublé par les assauts entre rebelles du Mouvement national somalien (M.N.S.) et forces de Mogadiscio (depuis mai 1988, le haut-commissariat aux Réfugiés dénombre 2 000 réfugiés par jour, arrivant en Éthiopie).Problèmes internes et perspectives généralesLe contraste n’a cessé de s’accuser entre les côtes de la mer Rouge. Le littoral africain s’enlise dans la pauvreté – les États de la Corne de l’Afrique figurent parmi les 35 pays les moins avancés et les plus endettés – alors que l’autre rive symbolise l’opulence, même depuis la chute des revenus du pétrole (l’Arabie en tirait, en 1979, 62,8 milliards de dollars, en 1986, seulement 20 milliards). En outre, ces États offrent côte à côte les réalisations les plus modernes et les pratiques les plus archaïques. Au-delà des différences demeure un trait d’homogénéité: leur démographie (tabl. 3).Les populations présentent la plupart des caractéristiques démographiques du Tiers Monde et des pays islamiques. Le taux d’accroissement annuel reste très fort, partout supérieur à 2,5 p. 100, ce qui correspond à un doublement de la population en un quart de siècle. La natalité se maintient, la mortalité baisse sous l’effet conjugué d’une double action: équipements hospitaliers, mesures prophylactiques. Certaines populations (Éthiopie, Somalie, Soudan) présentent un état physiologique préoccupant. L’espérance de vie, toujours faible même si des progrès ont été accomplis (en une décennie, au Yémen du Nord, elle est passée de 37 à 47 ans), enregistre de fortes variations entre États, signes d’un inégal développement.Les jeunes âgés de moins de vingt ans forment la moitié de la population. L’effort entrepris par les États pour les scolariser pèse lourdement sur leurs budgets. Si la généralisation de l’enseignement primaire est en principe réalisée, des retards se perçoivent dans l’enseignement secondaire et supérieur, sauf en Arabie Saoudite, en Jordanie, en Israël et en Égypte. Pour pallier l’insuffisance de formation des filles, la Banque mondiale apporte son soutien à de nombreux projets éducatifs en Jordanie, au Yémen du Nord...Enfin, l’inégale répartition des hommes constitue aussi une faiblesse. Les possibilités de cultures, liées à la présence d’eau, attirent toujours les implantations humaines, mais un autre facteur se généralise, celui de l’exode rural au profit des agglomérations pourvoyeuses, pense-t-on, d’emplois et de richesses: urbanisation rapide avec des villes champignons où se développent des quartiers marginalisés, sans hygiène.Un secteur primaire toujours puissant, souvent archaïqueDomaines de l’élevage itinérant, ces régions subarides conservent un fort cheptel. Mais un déclin se manifeste, accéléré par des facteurs humains (exodes, émigrations) et par des facteurs naturels (sécheresse dans la Corne de l’Afrique).Deux secteurs coexistent dans l’agriculture traditionnelle, trop dépendante des aléas atmosphériques, aux faibles rendements, laissant peu de profit aux paysans: la culture sèche fondée sur les céréales (mil, orge, blé), la culture irriguée, plus diversifiée, pour laquelle le Yémen du Nord détient une tradition pluriséculaire. Si la production de vivres se maintient, sur les hauteurs humides du Yémen et de l’Éthiopie, à l’amertume du café on préfère l’attrait des tendres feuilles euphorisantes du kât dont la consommation ne cesse de s’accroître surtout à Djibouti, en Somalie, au Yémen du Nord.Lorsque les moyens financiers et techniques soutiennent l’action concertée des États pour conduire une politique de l’eau (usines de dessalement, forage pour atteindre la nappe aquifère, barrage tel celui de la province de Mareb, Yémen du Nord), une agriculture destinée à l’exportation se développe (coton, canne à sucre, agrumes).Face à l’Arabie Saoudite qui, en subventionnant la culture des céréales, en irriguant les parcelles, en adoptant des espèces à haut rendement, en utilisant des engrais produits localement, arrive à l’autosuffisance en blé, les peuples de l’Éthiopie, du Soudan, de la Somalie, sans cesse menacés de famine, dépendent de l’aide internationale dont les milliers de sacs engorgent tous les ports africains, aide qui devient une arme politique quand le gouvernement d’Addis-Abeba refuse de la livrer aux provinces sécessionnistes (mai 1988).Une industrialisation inégale, encore embryonnaireLes États favorisés par la possession de ressources minières (pétrole, phosphate pour la Jordanie) ont créé des industries extractives, tout en cherchant à susciter l’industrialisation. L’Arabie Saoudite a le mieux réalisé ce programme: sur la côte de la mer Rouge, deux pôles de croissance – Yanbo et Djedda – cumulent les activités portuaires, les unités de pétrochimie et de sidérurgie, l’industrie à son tour entraînant d’autres secteurs de l’économie: construction, services bancaires, hôtellerie, transports, assurances, etc. Malgré cet exemple positif, la part prise par l’industrie (excepté les mines) reste faible.Une complémentarité entre États détenteurs de capitaux provenant du pétrole, soucieux de s’équiper, et pays dont la seule fortune réside dans leur potentiel humain s’est instaurée. La migration de travailleurs a pris le relais des anciens flux humains des siècles passés. L’Arabie Saoudite, avec ses immenses besoins en main-d’œuvre, reçoit à la fois les populations abondantes et peu qualifiées des États méridionaux (au moment du boom pétrolier, le Yémen du Nord avait un million d’expatriés, soit 50 p. 100 de ses actifs) et celles plus instruites de cadres, médecins, enseignants égyptiens, jordaniens qui, en raison de la communauté de culture et de langue, jouissent d’une situation privilégiée.Depuis 1984, cette tendance se renverse, avec les restrictions budgétaires, imposées par le fléchissement des revenus pétroliers et l’achèvement des travaux. Les retours s’accélèrent, faisant surgir de très vives tensions sociales dans les pays d’origine, confrontés à une triple réalité: pénurie d’emplois, arrivée toujours plus massive de jeunes sur le marché de l’embauche, effondrement des envois de devises de la part de leurs expatriés. Ne peut-on craindre que cette situation ne réactive les circuits clandestins de travailleurs, retrouvant les vieilles voies de commerce illicite, celles de la contrebande, jamais disparue, voire florissante lorsqu’elle porte sur les armes, l’alcool, les appareils électroniques?Des liens culturels resserrésDans cette zone de contacts, les communautés juives, musulmanes, chrétiennes, animistes, voire hindouistes, avaient appris à vivre en harmonie jusqu’au moment où la montée du sionisme et du panarabisme a exacerbé les rapports.L’islam, religion officielle adoptée par huit États riverains, ne joue pas pleinement son rôle de ciment de cohésion, car il laisse apparaître de profondes divisions au sein de la «umma» ou communauté des croyants.Depuis la chute de l’Empire ottoman, l’Arabie Saoudite wahhabite, considérée comme hérétique au XVIIIe siècle, gardienne des lieux saints (La Mecque, Médine) défend l’orthodoxie de l’islam. Malgré la réduction des quotas de pèlerins de chaque pays islamique, les aéroports de Djedda, qui relaient aujourd’hui son port, reçoivent un million de fidèles. L’Arabie Saoudite, leader à la suite de l’Égypte de Nasser du mouvement panarabique, agit au sein de la Ligue arabe, finance le F.A.D.E.S. (Fonds arabe de développement) non seulement pour renforcer les valeurs arabes (constructions de centres culturels, de mosquées, diffusions coraniques sur les ondes) mais pour aider les États frères dans la lutte engagée contre le sous-développement.Face à cette résistance orthodoxe, il y a toute l’inconnue de la montée des intégrismes, suscitée par l’iman Khomeyni qui conteste le rôle religieux de l’Arabie Saoudite. Après les dramatiques incidents de La Mecque (juillet 1987), les relations diplomatiques entre Téhéran et Riyad se sont tendues jusqu’à se rompre (avril 1988). Il faut en outre compter, bien qu’en baisse, sur les mouvements d’obédience marxiste, très actifs dans la Corne de l’Afrique, dans le Yémen du Nord et le Yémen du Sud.Voie ouverte à la libre circulation maritime, exutoire des hydrocarbures, la mer Rouge et ses ports escales se remettent lentement de la fermeture du canal de Suez. Cet ensemble, exposé aux crises mondiales et aux tensions internes polymorphes, recherche un nouvel équilibre par des adaptations de structures, par des redéploiements industriels. Cette région, trop marquée physiquement par le volcanisme, se présente comme une véritable poudrière, le calme apparent cachant le travail des forces profondes explosives.
Encyclopédie Universelle. 2012.